Key facts
-Durée : 2 jours
-Distance : 23 km
-Dénivelé : 1 200 m D+
-Trajet :
1er jour Punta Indren (3 275 m) – Capanna Gnifetti (3 647 m) ;
2e jour Capanna Gnifetti (3 647 m) – Lyskamm Est (4 533 m) – Lyskamm Ouest (4 479 m) – Felikhorn (4 087 m) – Rifugio Quintino Sella – Colle Bettaforca (2 727 m)
-Période : Août 2023
-Conditions météo : Vent 40-50 km/h, -10ºC au sommet, grand soleil
Lyskamm, mon crush 💙
Lyskamm, la plus belle arête des Alpes. Le superlatif s’impose, même en pensant à l’Arête de Bionassay ou à la Cresta Signal. Lyskamm ! J’y songeais depuis longtemps. Lors de ma première ascension au Mont Rose, j’avais aperçu sa ligne de faîte tranchant l’horizon comme une lance. La vue m’a donné des frissons, c’était un coup de foudre. J’ai rangé ce sommet dans un recoin de mon esprit, celui des rêves pour plus tard, quand j’aurai suffisamment d’expérience et de confiance dans mes aptitudes d’alpiniste. Cet été, même si la notion de confiance demeurait floue, j’ai senti que le moment était venu de tirer ce rêve du tiroir et de lui donner vie.
Ambition vs. Réalité
Chaque ascension est une conjonction complexe de conditions météo, synchronisation des agendas, disponibilité des places au refuge, arrangements logistiques, ressources et bien plus encore. Maintenant, je savais que les variables d’ordre physique et psychologique allaient peser plus lourd que d’habitude. Trois années se sont écoulées sans que je franchisse le seuil des 4000 m. Quelques kilos se sont rajoutés ici et là, en parallèle d'une chute cruelle de l’activité physique et de la motivation. En toute honnêteté, ma plus grande incertitude, c’était moi-même.
Ce n’est pas facile d’être constamment à la hauteur de ses propres ambitions. Dans de tels moments, faut-il ajuster ses objectifs, les tirer vers le bas ? Comment rattraper ses ambitions, quand le physique et le moral sont en chute libre ? La traversée des Lyskamm m’a permis de voir quelle était la marge de manœuvre entre les deux. Spoiler alert : pas très grande.
Voyage au bout de soi
4h50 Le temps des crampons, à la sortie de Capanna Gnifetti (3 647 m). Comme d’autres cordées de lucioles devant nous, nous entamons les zigzags sur le glacier du Lys. Malgré le début tranquille, je n’arrive pas à retrouver mon rythme. Je tire autant que possible sur les bâtons. Mes jambes traînent derrière, comme si elles n’étaient pas à moi. Les pas ne s’enchaînent pas comme il faut. Le nez et la bouche ne suffissent pas pour aspirer l’oxygène dont j’ai besoin. « On avance doucement, mais on s’arrête pas ». Je veux bien, mais ma locomotive à vapeur est déjà en surchauffe et on vient à peine de dépasser la Pyramide Vincent. Je me regarde et ce que je vois c’est un mammouth essoufflé tentant de gravir des sommets.
6h50 Passé le Col du Lys (4 151 m), nous attaquons l’antécime du Lyskamm Est. Étrange, je me dis, les premières cordées ressemblent à des statues figées dans la neige, telles les vierges ou les Jésus des sommets. Je comprends vite pourquoi : la pente se durcit, la trace se rétrécit, la corniche devient de plus en plus aérienne. « Là il faut être concentré », j’entends les mots de Mathieu.
Chaque pas est une épreuve, j’ai de la peine à cacher ma peine. « Mada, il faut décider rapidement : continuons-nous ou faisons-nous demi-tour ? On peut toujours se contenter de la Pyramide Vincent ». L’idée de l’échec me transperce plus que le froid, jusqu’à la moelle, ses mots me secouent. « Non, pas de demi-tour, nous avançons et nous aviserons au premier sommet ».
Après une délicate danse le long de la corniche et une pente de glace vive à 50º, sans traces, voilà le sommet du Lyskamm Est (4 533 m). Cette première victoire – ou peut-être le vent glacial ?– me vivifient. Je me sens plus légère, du moins dans mon esprit. Le froid ruisselle autour de moi, sans me toucher, et s’agrippe aux autres. Malgré ses deux doudounes, Mat grelotte. Nous continuons notre voyage au fil du rasoir à plus de 4 000 m en direction ouest.
9h Après quelques passages rocheux, nous atteignons le Lyskamm Ouest. De gauche à droite, Dufourspitze, Zumsteinspitze, Punta Gnifetti, Parrotspitze, Lyskamm Est : c’est divin ! Des horizons comme ceux-ci nous appellent à revenir, encore et encore. C’est mon lieu d’éternel retour.
9h05 La descente est loin d’être une simple balade dans un parc. Il faut rester très concentré. Le versant sud, descendant du Lyskamm Ouest vers Felikhorn, est très raide et semble plonger jusqu’aux entrailles du glacier, de la terre même. Au début, des marches de géant grossièrement gravées dans la glace dure, mais plus bas, rien – ni trace, ni marche, que de la glace translucide. Sur les derniers 50 m de difficultés, Mat installe une broche et me descend en moulinette. Soulagée, je profite du free riding.
C’est là que son crampon gauche lâche. Le danger n’est pas encore passé, il faut absolument le réparer pour continuer. Cette pause imposée est bienvenue. Je respire et j’embrasse du regard la chaîne des sommets sauvages parcourus depuis ce matin. Tout semble irréel, comme un fragment de rêve ou d’une autre vie. C’est si beau, si haut, si impressionnant que mon cerveau refuse de croire que tout est vrai, que nous avons vraiment réussi la traversée des Lyskamm. L’émotion me submerge. Les larmes inondent mes yeux, en vagues, débordent dans les lunettes, puis sur les joues. Je ne peux pas les retenir, et, en fait, je ne veux pas.
Depuis l’ascension du Mont Blanc, le moment où je savais que nous allions y arriver, je n’ai plus éprouvé quelque chose d’aussi fort. Quel bonheur de pleurer, de libérer ses doutes, ses grandes et petites peurs, ses pensées grises. Les larmes chassent l’ombre de l’insomnie, l’écho des odeurs et des ronflements de la nuit au refuge. Les larmes lavent tout, je renais, le temps de remettre un crampon en marche.
11h Allongés au soleil sur la terrasse du Refuge Quintino Sella, deux lézards, Mat et moi. Un Coca, un jus de pomme. Des baudriers, des crampons, des vestes, des cordes étalées pour sécher. Sans lui, le Lyskamm serait resté un rêve lointain. Avec ses mots magiques, Mat a su me pousser plus loin de moi-même, au-delà de ce que je pensais possible, mais toujours dans la zone du réalisable. Parfois, un mot fort, au bon moment, comme une décharge électrique de volonté peut combler l’écart entre l’aspiration et la réalité.
Infos pratiques pour réussir la traversée des Lyskamm
L’accès
Après un voyage de 12 heures avec le train de nuit Paris-Briançon (pour la première fois) et 3 heures de voiture jusqu’à Staffal, au bout de la Vallée d’Aoste, on prend le télésiège jusqu’à Punta Indren. De là à Capanna Gnifetti, il nous faut 1h30-2h de marche. C'est un peu plus loin et plus haut que le Refuge Mantova, sur le Glacier du Garstlet.
Dormir à Capanna Gnifetti (3 647 m)
Grand refuge de 176 places réparties en quatre dortoirs d’une quinzaine de lits et quelques chambres plus petites de 6 lits. Nous avons eu la « chance » d’être dans l'un des plus grands dortoirs, avec quatre colonnes de lits répartis sur trois étages et une sorte de niche sous le toit pour encore 3 ou 4 places. Le refuge était plein à craquer. Heureusement, nous sommes arrivés avant les autres et avons pu choisir les lits d’en bas, plus accessibles et pratiques que les lits suspendus. Une odeur assez forte émanait des toilettes, situées au bout du couloir.
Manger à Capanna Gnifetti
Après avoir fait pas mal de refuges en France, Suisse et Italie, je peux dire que c'est en Italie que l'on mange le mieux et Capanna Gnifetti ne fait pas exception à la règle. Des portions généreuses, des soupes qui ont du goût, des rôtis appétissants pour les carnivores et des alternatives aussi copieuses pour les végétariens. Le premier refuge où l’on nous a servi des fruits frais au dessert !
Traversée des Lyskamm : Est-Ouest ou Ouest-Est ?
La portion la plus technique et exposée de cette traversée se situe entre l'antécime et le sommet du Lyskamm Est. Mon guide est d'avis qu'il est plus judicieux d'aborder la partie difficile en montée plutôt qu'en descente. Il est plus aisé d’affronter les obstacles en montée, face à la pente, qu'en descente. Je suis tout à fait d'accord.
L'équipement pour la traversée des Lyskamm
La traversée des Lyskamm est une course engagée et nécessite l’équipement et le matériel classique de glacier. Personnellement, je suis contente d’avoir bien optimisé mon sac à dos Black Diamond Speed Light de 22l et de n’avoir pris que des objets utiles :
-Équipement et matériel de glacier : crampons, casque, baudrier, bâtons, piolet droit, broche à glace, mousquetons, longe ; mon guide a utilisé une corde de 50m.
-Vêtements : une pair de pantalons imperméables, une pair de sous-pantalons en mérinos, deux t-shirts en mérinos, une veste en Gore-Tex, chaussettes légères pour l’approche, chaussettes épaisses pour l’ascension, des moufles à trois doigts, sous-gants en mérinos, bonnet en laine ; la doudoune et le tour de cou en mérinos sont les seules choses dont je ne me suis pas servie, mais c’est bien de les avoir.
-Accessoires : poche à eau, thermos, appareil photo, quelques barres de céréales, lingettes nettoyantes.
Informations
- 4533 m
- 23 km
- 1200 m
- -10 °C