Pinche* Pico de Orizaba !

Le journal de l’ascension de Pico de Orizaba (Citlaltépetl)

Premier jour

De Mexico City (2200 m) à San Miguel Zoapan (3000 m)

10h30. Métro Insurgentes, rendez-vous avec Ruth. Vêtues en mode montagne, c’est facile de se reconnaître même parmi la foule de gens. Les 3h30 de route passent vite au rythme de Led Zepp’.

14h. Arrivée à San Miguel Zoapan, l’équipe d’Orizaba Mountain Guides (OMG) me fait un accueil très chaleureux. Je fais la connaissance de Roberto “Oso”, le fondateur d'OMG, et Chito. Ruth m’emmène dans ma chambre. Comme la grande vague d’alpinistes américains de Thanksgiving était déjà passée, j’ai le privilège d’être seule dans une chambre à quatre lits. Avec eau chaude, wifi, une belle salle à manger et un salon, ce refuge ressemble plutôt à une auberge confortable et chaleureuse. Peu après, je fais la connaissance de Gibrán, mon futur guide de haute montagne. Un bon déjeuner me met complètement à l’aise et je profite du reste de la journée pour faire le tour du village, prendre des photos et de l’air. Pico de Orizaba est caché derrière un nuage gris. Rien ne laisse croire que l’on est juste à côté du plus haut volcan de l’Amérique du Nord et du plus haut sommet du Mexique.

Deuxième jour

De San Miguel Zoapan (3000 m) à Piedra Grande (4230 m)

9h. Au petit déjeuner, Gibrán m’annonce le programme de la journée. On allait préparer nos bagages et attendre une autre équipe de guides avant de s’embarquer dans un des gros 4x4 qui allait nous déposer au camps de base. J’attends dans la cour de l’auberge, trépignant d’impatience.

13h. On prend la route du camp de base. “Route” c’est à toute évidence un grand mot. C’est plutôt une large tranchée, sillonnée d’ornières et ravins. Le gros camion encaisse bravement les chocs et nous emmène après 2h au camp. Le chemin serpente au milieu d’une forêt de pins géants, au sol tapissé de grandes herbes moelleuses, qui ne donnent qu’une seule envie : rouler dedans comme un enfant dans la neige ! (pourtant je ne l’ai pas fait)

15h. Camp de base ! J’ai du mal à croire que juste quelques jours avant, il y avais au moins une vingtaine de tentes ici. Maintenant il n’y avait que la tente “salle à manger”, la tente-cuisine, la tente de l’assistant du camp et, un peu plus loin, la bâtisse des toilettes. Gibrán monte vite la tente où j’allais passer deux nuits, au bon gré d’une météo qui s’annonçait capricieuse.

17h. On fait un petit tour aux alentours du camp, pour essayer les crampons et les techniques d’arrêt. La nuit tombe vite et on se réfugie tous dans la salle à manger, où on dîne, on bavarde. En rentrant dans la tente pour préparer cette première nuit à la belle étoile, on constate qu’un vent tenace s’était mis à balayer le plateau où était installé le camp. Je n’arrive pas à fermer les yeux de la nuit, intimidée par le grondement du vent qui s’acharnait à écraser la tente contre mon visage. Mon sac de couchage Millet Summiter ne suffit pas pour me réchauffer, mais ce n’est pas de sa faute : je suis frileuse par nature et il ne fait pas plus de 0ºC. Vivement le matin.

Troisième jour

Acclimatation autour du camp de base Orizaba Mountain Guides

9h. Le vent s’était déchaîné pendant la nuit. On commence la matinée en empilant de gros cailloux autour de la tente, dans une vague tentative de la défendre. Petit-déjeuner calorique bien mérité. J’enchaîne les thés et les tisanes.

11h. L’idée c’était de monter jusqu’à environ 4800 m et y rester 1-2h pour que je m’acclimate. On commence la petite ascension, mais à peine 45 minutes plus tard, la pluie se rajoute au vent. Gibrán décide de faire demi-tour, car c’était important de garder secs nos vêtements dédiés à l’ascension.

13h. On se retrouve de nouveau dans la salle à manger, à l’abri du vent. Deux nouveaux alpinistes très sympas de Cuernavaca arrivent avec leur guide et on passe l’après-midi à manger et à discuter. Mon guide avait eu la prévenance de me trouver deux sleepies (sacs de couchage) supplémentaires, beaucoup plus chauds que le mien. Du coup, je suis beaucoup plus optimiste pour la nuit.

18h. L’heure de faire dodo. Emmitouflée dans deux sacs de couchage posés sur un troisième, le froid n’est plus un problème, même si je mets un peu de temps à chauffer mes orteils. Il faisait toujours autour de 0ºC dehors et le vent n’avait pas l’air de s’adoucir. Au contraire. Des rafales de pluie se rajoutent aux celles du vent et le spray fin s’infiltre peu à peu à travers la toile de la tente.

20h. Au bout de 2h d’attente dans mes sleepies et profitant d’une petite minute d’accalmie, je trouve le courage de sortir pour alléger ma vessie – autrement je savais que je pouvais attendre en vain le sommeil. Sortie de la tente, je ne peux pas retenir un “wooooow” ébahi. Je n’avais jamais vu un tel ciel, si beau, si profond. La Voie Lactée sillonnait la voûte céleste d’un bord à l’autre, avec une clarté adamantine. Tout l’Univers devait être là, visible à l’œil nu, venu au rendez-vous depuis de millions d’années-lumière. Je m’endors doublement soulagée : d’abord, physiquement (important !) ; d’autre part, j’étais persuadée qu’il allait faire beau et que notre ascension était sous bons augures.

Quatrième jour

Première tentative d’ascension de Pico de Orizaba

1h. Réveil aux enfers. Où est ma Voie Lactée ? Ciel et terre n’en font qu’un, amalgamés par un liquide froid qui bouge en colère, comme un vortex irrépressible. Les sacs de couchage sont humides, voire mouillées à certains endroits, et froids. Je m’habille à grande vitesse pour rejoindre les autres pour le petit-déj nocturne. Le temps de manger, j’essaie de me dire que le temps allait se calmer et que, sans doute, un peu plus haut, il allait faire mieux. Les guides avaient décidé de tenter de rejoindre la base du glacier et, en fonction des circonstances, décider si on allait continuer ou faire demi-tour.

2h. Sans beaucoup d’aplomb, nous commençons l’ascension – et encore à un super rythme. On arpente vite la première partie de la montée couverte de poussière et éboulis volcaniques glissants. Malgré nos espoirs, la pluie et le vent ne s’apaisent pas. Au bout d’une heure de marche, je garde un grain d’optimisme. Au bout de deux heures, arrivés au niveau du Labyrinthe – un tronçon parsemé de gros roches stables, mais couvertes de neige et glace – je constate que mes vêtements en Gore-tex étaient déjà complètement trempés. L’eau avait traversé la membrane de mes pantalons, en dessous des guêtres, elle s’était écoulée dans mes chaussures à gros flots. Rafales de vent nous poussaient à droite et à gauche. La pluie s’était transformée en grésil. Devant moi, le sac à dos de Gibrán était couvert par une épaisse armure de glace. Bientôt mes vêtements aussi. Le pas chancelant sous les coups de vent, trempés et frigorifiés, on décide de faire demi-tour.

4h30. La descente se passe extrêmement vite. N’ayant qu’une seule envie – mettre fin à ce cauchemar météorologique – je fais probablement la plus rapide descente de ma vie.

5h30. Au camp de base, la situation n’est pas beaucoup plus rose. Nous retrouvons les sleepies et les vêtements que nous avions laissés dans la tente complètement mouillés. Via les stations radio, on appelle Zoapan pour demander en urgence un camion.

11h. Après quelques heures de grelotte dans la tente, la délivrance : on entend au loin le moteur du camion qui vient nous chercher ! Houraaa !

13h. À San Miguel Zoapan, je constate l’ampleur du désastre : équipement entièrement mouillé notamment les moufles et les chaussures, aucun vêtement sec. Je ramasse toutes mes affaires dans un grand sac poubelle, pour que ça ne coule pas. Il pleut, même à Zoapan, et la météo s’annonce mauvaise pour le lendemain. Dans ces conditions, je décide, le cœur serré, de rentrer à Mexico City. Je passe le reste de la journée dans mon sleepy, toujours humide, sous plein de couettes, en me répétant qu’on ne peut pas lutter contre les caprices de la montagne et de la météo.

Cinquième jour

L’ascension de Pico de Orizaba

9h. En sortant pour prendre le petit-déj, surprise : grand soleil, ciel bleu, ambiance estivale, pas de trace de vent. Pour la première fois après quatre jours, j’éprouve la sensation de chaud et je sirote à petites gorgées ce soleil fortuit.

« Regarde qu’est-ce qu’il faut beau là-haut ! » exclame Chito, avec son impeccable accent brittanique. « En plus, ils annoncent une météo excellente pour demain » continue-t-il, en regardant vers Pico de Orizaba, qui brillait tout beau et blanc sous les rayons de soleil… « Est-ce que ça te dirait de tenter une nouvelle ascension ? »
« Tu pourras le faire, tu es rapide et tu n’as pas de problèmes d’altitude ! », rajoute Gibrán.

Je commence à contester ma décision de rentrer et je me sens coincée entre deux forces opposées. Rester ou rentrer ? Voilà la question…

« Oui, mais tout mon équipement est mouillée, il ne va jamais sécher jusqu’à demain matin… », riposte à haute voix la partie de moi qui avait décidé d’accepter la défaite.

« Oh, ne t’inquiète pas, ça va sécher vite su soleil », dit Gibrán, qui avait déjà étendu ses affaires sur le balcon.

Après quelques minutes de vif débat intérieur, mon esprit se décide : « Bon. Je reste. »

13h. En moins de trois heures, les vêtements sont secs et moi j’ai un joli coup de soleil.

« Si tu veux, on peut y aller maintenant », me propose mon guide.
« Où ? Au sommet ? En plein jour ? » demandai-je dubitative.
« Oui. Tu as un bon rythme et on pourrait rentrer dans 8h chrono. »
« OK, let’s go ! »

Exaltée par l’idée d’une ascension atypique, je prépare en hâte mon sac et je saute dans le truck.

15h et quelques. Au camp de base, on enfile les guêtres, les cagoules et les casques, on règle les bâtons de marche et on part. Après un démarrage alerte, j’ai vraiment du mal à récupérer mon souffle. Je pantèle à chaque pas, d’autant plus que la première partie de la montée traverse cette partie insupportable, couverte de poudre volcanique mouvante. J’ai l’impression d’être beaucoup plus lente que lors de la première tentative. Gibrán essaie de m’encourager et de me détendre : « On n’est pas pressés, on a tout le temps ». En haut du Labyrinthe, les lumières sont toutes douces ; Pico de Orizaba apparaît devant nous, magnifique, mais tellement haut, massif et accablant.

17h30. Arrivés à la base du glacier, on fait une petite pause. Il y a un peu de vent, mais c’est surtout le froid qui commence à piquer fort. Le temps d’avaler une barre de céréales et les doigts gèlent jusqu’à perdre tout contrôle de mes mouvements. Embêtant, car il faudra d’ici manier et le piolet, et un bâton. On entame la marche sur la pente du glacier souvent à 45º. Le volcan est recouvert par un bouclier d’écailles de glace orientées vers l’ouest comme des cristaux immenses de quartz, qui craquent sous les dents de nos crampons. Leurs bouts semblent en feu sous la lumière crépusculaire. Peut-être une demi heure avant d’atteindre le sommet, le soleil disparaît derrière l’horizon et nous terminons la dernière partie de la montée à la lumière des frontales. Les derniers mètres sont extrêmement rudes, je dois m’arrêter et enfler avidement mes poumons tous les dix pas. À gauche de l’arrête sommitale je devine le creux du cratère ; à droite, en bas, les constellations terrestres des petites villes.

19h30. Sommet ! Nous sommes en haut du Pico de Orizaba, après 4h30 de marche ! Ça reste quand-même un bon rythme, malgré mes peines ; le temps moyen d’ascension est de 8-9h.

« Ça y est, tu l’as fait ! Comment te sens-tu ? Es-tu heureuse ? » demande mon guide.
« J’en sais rien, je ne réalise pas encore que je suis vraiment ici… » répondais-je, soufflant comme une locomotive.

La croix écroulée d’Orizaba est recouverte d’une strate dense de glace. En regardant vers le ciel, je retrouve la Voie Lactée, aussi intense et belle qu’elle était il y a deux nuits. Éberluée et émue de me retrouver au point-même de confluence des éléments – terre et ciel, feu (après tout, c’est un volcan) et eau (glacée, certes) –, je célèbre ce privilège en gobant deux barres de céréales pendant que Gibrán me donne un coup de main pour changer mes chaussettes : « Il faut qu’on soit efficaces ! ». Tout à fait d’accord, car il faut avouer qu’il fait pas chaud…

20h. Difficile de dire si on est restés 15 ou 30 minutes au sommet. Le temps n’a pas la même mesure dans des endroits pareils. Néanmoins, la petite pause m’a permis pratiquement de renaître. Animée d’un nouvel élan, d’une nouvelle énergie, pendant la descente, je volette comme un papillon. On descend tout droit la pente et on retrouve le rocher où on avait laissé nos bâtons à la base du glacier. Le Labyrinthe et le reste de la descente passent comme une promenade dans un parc, papillonnant et papotant nonchalamment.

22h30. Après 2h30 de descente (à la place de 4-5h en moyenne), on arrive au camp de base. Les tentes sont dans le noir et tout le monde dort. Un truck m’emmène à Zoapan. Le croissant de lune se lève au-dessus de la canopée des pins, les deux cornes orientées vers le haut. Je n’ai jamais vu une telle lune. Au refuge, je tombe vite dans un sommeil béat.

Sixième jour

De retour à Mexico City

8h. Toujours dans un état d’étonnement – pour ne pas dire de transe –, je prends mes affaires et je m’embarque dans la voiture de Ruth, qui me ramène à Mexico City. Était-ce vrai ou juste un rêve très bien mis au point ? J’aurai sans doute besoin de quelques jours pour m’en rendre compte.

*Sacré.

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